Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre présence à ce colloque, destiné à faire revivre de jeunes aviatrices d’exception, en Russie comme en France. Russe d’origine et française d’adoption, le commandant d’aviation Alla Dumesnil, héroïne russe au service de la France pendant la Seconde Guerre mondiale fut l’une de celles-ci.
Alla fut une femme tout simplement éblouissante, virevoltant tout au long
de sa vie avec grâce, constance et obstination.
Le 22 mars dernier, il y a trois mois de cela et cent onze ans après sa naissance, a eu lieu au cimetière russe de Sainte-Geneviève des Bois dans l’Essonne la cérémonie d’inauguration de la nouvelle pierre tombale du commandant de l’Armée de l’Air Alla Dumesnil. Ce fut pour moi un moment de grande émotion, ravivant le souvenir d’une femme d’exception, tournée vers l’action et le don de soi.
Le 22 mars dernier, il y a trois mois de cela et cent onze ans après sa
naissance, a eu lieu au cimetière russe de Sainte-Geneviève des Bois dans
l’Essonne la cérémonie d’inauguration de la nouvelle pierre tombale du
commandant de l’Armée de l’Air Alla Dumesnil. Ce fut pour moi un moment de
grande émotion, ravivant le souvenir d’une femme d’exception, tournée vers
l’action et le don de soi.
Le commandant Alla Dumesnil
Quelle vie fut effectivement celle de ma tante Alla, dont l’apogée prit place durant la seconde guerre mondiale, avec son combat auprès du général de Gaulle au service de son pays d’adoption, la France.
Une existence trépidante, qu’elle mena tout en conservant ses racines russes, dont elle était fière et qu’elle m’apprit également à choyer.
Nous l’appelions tous affectueusement « tante Alla », mais elle était en fait la fille unique de ma grande tante Véra, la sœur de mon grand-père Alexandre, dont j’ai retracé l’épopée dans un roman intitulé « Choura le Magnifique ».
Alla fut une femme littéralement « épatante », comme aurait dit
Jean d’Ormesson, et son existence prit la forme d’un tourbillon incessant, celle
d’une héroïne du temps d’alors, ardente à dévorer la vie dont elle fit une
valse sans fin. Elle a nourri les rêves de mon enfance et de mon adolescence.
Elle fut en fait un de ces êtres hors du commun, pour lesquels l'honneur et le
service sont des qualités naturelles.
Saint-Pétersbourg en 1013
Née à Saint-Pétersbourg le 15 mars 1913 à l’aube de la première guerre mondiale, Alla est le fruit de l’union en 1912 de sa mère Véra avec Nicolas Bassine, né le 15 avril 1889, fils déclaré de Nicolas Bassine, un notaire pétersbourgeois, et d’Elena Romanovna Kouzmina. Nikolai Nikolaevitch aurait en fait été, selon la légende familiale, difficilement vérifiable mais assez vraisemblable, le fils naturel du grand-duc Nicolas, oncle de l’empereur.
La famille Fermor à Saint-Pétersbourg
La grand-mère maternelle d’Alla se nomme Larissa Fermor. D’un premier mariage avec Nikolai Pavlovitch Fermor (mon arrière - grand - père, fils du général-major Pavel Fermor), elle a successivement donné naissance :
- à Evguenia en 1880. Celle-ci rejoindra le mouvement révolutionnaire et restera en Russie ;
- à Nikolai en 1882. Il va devenir lieutenant de la flotte impériale russe. Plus tard, il sera membre actif du célèbre comité Tatiana dirigé par la seconde fille de l’empereur, en tant que commissaire en charge des Affaires spéciales pour les fronts sud et sud-ouest. Bien après, en exil à Paris, il fondera avec succès la compagnie Bronzavia, spécialisée dans la fourniture de matériels aéronautiques. Cette société existe toujours, avec deux usines, une à Sartrouville sur le site d’origine, et l’autre à Casablanca ;
- à Alexandre (mon grand-père) en1886. Après des études de droit et d’archéologie, et quelques années à la Chancellerie d’état, il s’engagera pour défendre la Russie, allée de la France face à l’Allemagne. Il servira dans les lanciers de la Garde pendant la grande guerre, puis lors de la guerre civile, et atteindra finalement le grade final de colonel de l’armée russe avant l’exode ;
- à Véra, la mère d’Alla, en 1889;
- à Alia en 1896, elle créera et dirigera dans la Gironde un élevage de chiens de race caniche, recevant plusieurs médailles d’or lors des salons parisiens de l’agriculture : l’adaptation reste le mot clé pour les émigrés russes après l’exode ;
- à Ivan en 1898, il deviendra banquier à Lausanne après l’exode.
La famille descendait d’un soldat écossais de souche noble, Georges Fermor, arrivé à Moscou le six mars 1661, à l’issue de la guerre Anglo-écossaise de 1650-1652. Au bout d’un long périple par la Suède et la Lettonie, il s’était mis au service armé de la Russie sous le règne du Tsar Alexeï Mikhailovich. Celui-ci, second de la lignée des Romanoff, l’avait alors nommé « zamchik », russifiant son prénom qui devint Youri.
Alla avec sa nourrice à Saint-Pétersbourg
Alla, pour en revenir à elle, passe ses premières années dans la ville de Pierre le Grand, où sa grand-mère maternelle, Larissa Fermor, a épousé en secondes noces, en 1904, le Conseiller d’état Alexandre Sémiénovich Niéjensky, annobli par l’empereur.
Larissa y possède un immeuble, au
vingt-trois de la rue Zakharievskaya. C’est un bel et
grand édifice de six étages, qui figure à son entrée deux énormes statues de
l’Egypte ancienne. Connu sous le nom de la « Maison Egyptienne », l’édifice est
en partie loué aux ambassades de Belgique et de Roumanie : Alla commence à
voyager en pensées et avec délice.
Portrait du
capitaine de vaisseau Charles Dumesnil
La mère d’Alla, Véra, divorce peu de temps après. C’est qu’elle a fait la
rencontre d’un officier de marine français, le capitaine de vaisseau Charles
Dumesnil, auparavant aide de camp du ministre de la Marine, maintenant attaché
naval à Saint-Pétersbourg.
Charles
Dumesnil en mission à Saint-Pétersbourg
Nommé Chargé de mission en Russie, Dumesnil va s’illustrer en janvier 1917
lors de l’incendie du cuirassé Impératrice Marie, alors que les prémices de la
révolution enflent et grondent dans la capitale russe.
Le presque fiancé de Véra s’empresse de divorcer également de son côté pour pouvoir convoler avec sa bien-aimée russe, enfin disponible.
Le lieutenant Alexandre Nikolaevitch Fermor, régiment des Lanciers de la Garde
La guerre civile a tristement succédé à la première guerre mondiale, la révolution bolchévique est en marche.
Mon grand-père Alexandre, l’oncle d’Alla et le frère de Véra, avait servi pendant la Grande Guerre dans un régiment des lanciers de la Garde, avec le grade de cornette puis de lieutenant, décoré des croix de Saint-Georges, de Saint-Stanislas et de Sainte-Anne.
Le 6 novembre 1917, il rejoint l’Armée contre-révolutionnaire, dite « des Volontaires », qui vient de se constituer à Novotcherkassk, l’ancienne capitale des cosaques du Don, située dans l’oblast de Rostov.
Nommé capitaine, Choura commande un escadron de lanciers de la Garde, puis
il sert dans la première Division de Cavalerie du Kouban.
La lutte fratricide se poursuit, au cours de terribles années à l’issue desquelles Choura reçoit le grade de colonel des mains du général baron Wrangel, sous les ordres duquel il va combattre jusqu’en novembre 1920. C’est alors le recul vers la Crimée des troupes blanches face à l’Armée rouge, puis l’évacuation.
Promu contre-amiral en mars 1919, chef de la délégation française à la Commission navale, Dumesnil est nommé à la tête de la division légère en l’escadre de Méditerranée orientale, basée à Constantinople. L’ancienne Byzance est alors occupée par la France et ses alliés, l’empire ottoman ayant perdu la guerre aux côtés de l’Allemagne.
Charles y adopte Alla qui l’adorera toute sa vie. Elle utilisera désormais le nom d’Alla Karlovna Dumesnil, avec donc comme patronyme le prénom de son nouveau père. L’amiral va alors prendre une part active à l'évacuation de la Crimée, où les troupes de Wrangel se trouvent encerclées.
« Voilà sept mois que nous luttons, abandonnés de tous, contre un ennemi dix fois supérieur en nombre. L’armée a fait des miracles. Sans vêtements, manquant de tout, elle a fait quatre-vingt-cinq mille prisonniers, pris plus de trois cents canons.
Voilà sept jours que l’ennemi attaque sans arrêt. Hier j’ai dû, n’ayant
plus de réserves, faire occuper les tranchées par la cavalerie. Je n’ai donné
qu’un ordre à l’armée, celui de couvrir l’embarquement de nos blessés, des
femmes et des enfants qui sont menacés de massacre.
Au moment où ils abandonneront la Crimée, les embarqués n’auront plus de
patrie ».
Le contre-amiral d’escadre Charles Dumesnil sur le pont du Waldeck-Rousseau
l’ Amiral Dumesnil, accompagné du comte de Martel, délégué de la France alliée, organise alors avec le général Wrangel l’évacuation dans le calme des russes blancs, sous la protection des canons français. Ils contiennent ainsi, de la façon la plus pacifique possible, les troupes révolutionnaires qui progressent vers le port de Sébastopol. Une fois l’embarquement des blancs sur les navires russes achevée, l’escadre prend la mer et se dirige vers Constantinople, qu’elle atteint deux jours après.
Véra Dumesnil, née Fermor
Véra, qui s’y trouve, observe de la fenêtre de son yali l’un de ces petits palais turcs qui bordent le détroit du Bosphore. Elle suit l’évolution du Waldeck-Rousseau qui s’approche et met à l’ancre. Alla, toute joyeuse se tient à ses côtés, elle se réjouit de revoir son papa adoptif. Toutes deux espèrent aussi que leur cher Choura, dont elles ont été sans nouvelles toutes ces dernières années de combat, se trouve sur un des navires de guerre russes.
De fait, Alexandre a également été évacué avec son escadron, et il rejoint ainsi sa sœur Véra et sa nièce Alla. Il retrouve aussi sa fiancée, la comtesse Alexandra Alexandrovna Chérémetieff. Le père de celle-ci, général-major, a été l’aide de camps de Nicolas II. Il avait épousé la comtesse Heyden, ancienne demoiselle d’honneur de l’impératrice.
Choura a rencontré Sacha sur le front du sud pendant la guerre civile, alors qu’elle était infirmière. Ils se marient à Constantinople le dix-neuf mars 1921, Alla est demoiselle d’honneur, Véra et Charles sont présents, bien sûr.
Alla Dumesnil,
peinte par Bekker à Constantinople
En 1922, toujours à Constantinople avec ses parents, Alla est peinte par l’artiste russe Nikolai Bekker, qui est le peintre attitré de la famille. C’est un pastel fort réussi, traçant d’un pinceau habile une enfant de 8 ans, charmante et très décidée : Ses yeux qui nous fixent montrent sa détermination à toujours accomplir ce qu’elle a décidé, jusqu’au bout de ses limites. Puis Alla émigre en France avec sa mère Véra et son beau-père français qui l’a adoptée. Elle grandit paisiblement dans son nouveau pays, à la Ferté-Macé où l’amiral possède un domaine et vient les voir, quand il n’est pas en mer.
Choura à côté
du ministre de la Guerre d’Ethiopie, entouré d’officiers français et russes
Choura de son côté, décide pour survivre et nourrir sa famille, de se
mettre au service du Négus d’Abyssinie, dont il devient le commandant de la
Garde à cheval avec le titre de fitaouri (général). Il sauvera la vie du Roi
des Rois lors d’une révolution de palais à Addis-Abeba. Comme il dira plus
tard, « les révolutions, j’avais l’habitude ! »
Il mourra à Paris quelques années après, le 17 juillet 1931, après avoir ingurgité le verre dans lequel il avait bu à la santé de l’Empereur, lors d’une soirée régimentaire très arrosée. La coupe n’était pas en crystal, un matériau très fin qui peut être broyé au bout de longues heures de mastication, mais en un verre grossier. Pas banal comme fin, mais sa vie ne le fut pas…
Peu de temps auparavant, Alla a épousé l’auteur dramatique Paul Haurigot en
l’église de l’Union des combattants russes de Gallipoli à Paris. Sa fille,
prénommée Marie-Christine, naît le 7 août 1931 à Barbizon, près de
Fontainebleau. Elle sera son unique enfant. Leur photographie, prise huit ans
plus tard, les montre, souriant à la vie qui poursuit son cours.
Passionnée d’aviation, Alla s’est mise à prendre des leçons de pilotage et elle reçoit son diplôme de pilote d’avion, dans un milieu qui est alors encore presque exclusivement réservé aux hommes.
Le 15 février 1934, Alla qui a divorcé de Paul Haurigot, épouse à Paris le lieutenant de vaisseau Pierre du Challend de Cévins, dont elle se séparera quatre ans plus tard.
Elle se perfectionne dans la technique du vol au fil des années qui suivent, atteint vite les 300 premières heures en aéronef, et épouse en janvier 1939 Roger Dupont, son troisième mari. Ils partent vivre en Afrique de l’Est, au Kenya où elle apprend le swahili. Que ce soit dans le cadre de sa vie publique, comme de sa vie privée, Alla fonce, elle charge et taille, sabre au clair !
Septembre 1939 : Le second grand conflit mondial prend naissance. Ni une ni deux, Alla, qui a maintenant 26 ans, essaie de s’engager comme Volontaire dans l'infanterie, dans le cadre de la loi de 1938 relative à la formation des Auxiliaires féminines de l'Armée de terre. Les femmes sont alors interdites de combattre, ce qui ne plait guère à Alla, mais elle est bien décidée à changer ça dès qu’elle aura pu rejoindre les forces armées de son pays. Elle entre en résistance, sous le nom d’Alla Dupont.
Opposée à l’Armistice conclu entre l’Allemagne nazie et la France envahie, signé par le maréchal Pétain le 22 juin 1940, Alla décide de rejoindre Londres pour répondre au fameux appel du 18 juin du général de Gaulle, ceci malgré la vive opposition de son mari. Elle parvient dans la capitale britannique au milieu de l’automne.
Alla est engagée le 27 novembre 1940, elle est affectée aux Forces française libres de l’Armée de l'air et reçoit le grade de caporal le 1er février 1941. Prête à soulever des montagnes, bien qu’avec un grade inférieur, elle prend en mains une centaine de volontaires féminines. Puis elle rejoint le service du général Ernest Petit, qui, plus tard, dirigera la mission militaire de la France libre en URSS.
Le 10 avril 1941, la caserne de Hill Street où loge le personnel féminin est bombardée plusieurs nuits de suite par les Allemands et finalement détruite le 17 avril. Lors des attaques et de la destruction finale, le comportement héroïque d’Alla sous les bombes provoque l’admiration de son commandement. Elle reçoit alors sa première récompense militaire : la Croix de guerre avec palmes en vermeil.
La Légion d’honneur avec le grade de chevalier lui sera attribuée en 1946 pour sa bravoure lors du bombardement. La citation qu’elle recevra alors est édifiante :
"DUMESNIL (Alla), commandant des Formations féminines de l'air, mère de famille, engagée volontaire dès novembre 1940. Chargée en avril 1941 de créer et d'organiser les Formations féminines de l'air, s'est acquittée de cette tâche d'une façon satisfaisante. Nommée au commandement de ces formations, a fait preuve de qualités d'organisation et de méthode. S'est dépensée sans compter. A été l'exemple des plus belles qualités de sang-froid, de courage, d'initiative et de dévouement. "
Le 25 septembre 1941 elle est nommée adjudant-chef. Un an plus tard, la
voici sous-lieutenant. Sa fiche d’officier précise qu’elle parle français,
russe, italien, anglais et swahili. Elle possède également un diplôme de
parachutiste, en plus de son certificat d’aviatrice.
Fin octobre 1942, on compte 488 jeunes françaises sous les drapeaux à Londres. En décembre 1942, Alla prend également en charge l’école des «Merlinettes », qui sont les volontaires féminines des transmissions de l’armée de terre.
Le 25 juin 1943, elle est nommée lieutenant, affectée au commandement des unités féminines de l’armée de l’air en Algérie, où se met en place l’Armée française de Libération. Elle y fait la connaissance de Pierre Pouyade, commandant du fameux régiment Normandie-Niemen, arrivé d’URSS pour régler des problèmes de ravitaillement.
C’est par son intermédiaire qu’elle apprend l’existence des unités de pilotes de chasse féminines en Russie et qu’elle soumet alors au général Bouscat un projet similaire : La création d’unités de chasse féminines françaises.
En Russie, les autorités militaires soviétiques ont en effet ouvert leurs rangs aux femmes. De jeunes héroïnes prennent nombreuses les commandes d’avions de chasse ou de bombardement léger, pour défendre leur patrie agressée par l’Allemagne nazie.
Dès 1923, l’aviatrice Zinaïda Kokorina était devenue la toute première pilote féminine acceptée dans une école d’aviation de l’Armée rouge, admise ensuite à l’école supérieure de tir et de bombardement, puis nommée Combattant de l’air de 1ère classe.
Les plus célèbres aviatrices militaires sur le front russe lors de la
Seconde guerre mondiale sont le lieutenant Valentina Grizodoubova, le capitaine
Paulina Osipenko, et surtout le fameux commandant
Marina Raskova.
Elles recevront la prestigieuse Étoile d’or des héros de l’Union soviétique. Eh oui, des femmes s’avèrent être tout aussi capables que les hommes pour piloter, dans des situations extrêmes et des missions de guerre, des avions de chasse et de bombardement. Ces femmes, que les Allemands surnomment les « sorcières de la nuit », se battent dans les airs à l’est, en première ligne.
Trois régiments exclusivement féminins (depuis les pilotes et mécaniciens jusqu’aux services d’état-major) sont mis sur pied sous le commandement de Marina Raskova : le 586e régiment de chasseurs d’interception et de défense aérienne, le 588e régiment de bombardement de nuit et le 587e régiment de bombardement en piqué.
Ces régiments vont s’illustrer sous les cieux de Stalingrad, de Crimée, de Pologne et jusqu’aux derniers combats à Berlin. Le titre de héros de l’Union Soviétique sera d’ailleurs accordé à vingt-trois aviatrices russes, dont l’âge moyen dépassait à peine vingt ans.
Lydia Litviak, « La Rose de
Stalingrad »
La plus jeune, « Lily », la jolie Lydia Litviak, avait 19 ans. Surnommée "La Rose de Stalingrad" par la presse
soviétique de l'époque, elle faisait peindre une rose blanche sur le nez de son
chasseur chaque fois qu'elle abattait un avion nazi.
Après avoir accompli 168 missions et enregistré 12 victoires, Lily fut abattue le 1er août 1943, âgée de 21 ans, près de Donetsk.
C’est précisément à cette époque qu’Alla est transférée en Algérie en tant que commandant des auxiliaires féminines des Forces aériennes françaises libres (FAFL), où elle a enfin pu réaliser son idée de créer une unité de femmes pilotes de chasse.
Le projet vient en effet d’être approuvé en juin 1943 et Alla, qui a tout juste 30 ans, reçoit alors le 9 septembre 1943 le grade de commandant, sans passer, fait exceptionnel, par le grade de capitaine (certains disent que si, mais pour une seule petite journée). Elle devient ainsi la seule femme à avoir jamais reçu un grade aussi élevé au sein de l’armée française lors de la Seconde guerre mondiale.
Elle met immédiatement en œuvre la formation de femmes-pilotes de chasse, surnommées « les filles de l’air ». Au début de l’année 1944, Alla compte près de mille jeunes femmes en formation sous ses ordres à Alger.
Le cdt Alla
Dumesnil et le sous-lieutenant Joséphine Baker à Alger
L’une d’elles est la fameuse Joséphine Baker. Officier de renseignement
depuis 1939, elle est engagée officiellement à Alger l'armée de l'Air le 23 mai 1944, comme officier de propagande, avec le
grade de sous-lieutenant.
Un court film et de nombreuses photographies les immortalisent toutes les
deux en ces moments de combat, alors que le lieutenant Baker remet à sa
supérieure hiérarchique, le commandant Dumesnil, un chèque qui lui a été donné
par la Résistance française pour soutenir les actions des « filles de
l’air ».
Début 1945 Alla célèbre son 4ème mariage, avec le capitaine Jean Gillet.
Alla Dumesnil participe ensuite à la libération de la France, qu’elle rejoint et où elle continue à servir jusqu’au 16 février 1946, date à laquelle elle est démobilisée. Le 22 juillet précédant, elle a été nommée chevalier de la Légion d’honneur.
Puis, par un décret daté du 31 mars 1947, elle reçoit des mains du général de Gaulle la Médaille de la Résistance française, devenant la femme la plus décorée de l’armée française, totalisant huit récompenses militaires.
Joséphine BakerEn 1946, Alla adressa une lettre au
ministère de l’Air afin de demander que la Légion d’honneur soit également
attribuée à Joséphine Baker, mais essuya un refus du Ministère. Loin de
l’accepter, elle se battit pour que Joséphine Baker reçoive cette récompense,
ce qui fut finalement le cas, mais bien plus tard. Celle-ci entrera finalement au Panthéon, en
2021.
Mise à la retraite de l’Armée française, Alla retourna en 1947 en Afrique, à Brazzaville au Congo, puis à Libreville au Gabon, avant de retrouver brièvement Paris. Elle se domicilie par la suite à Gibraltar où elle a été nommée représentante de l’agence France-Presse. Veuve de Jean Gillet, elle y épouse William Savignon, qui sera son 5ème et dernier mari.
Elle finit paisiblement ses jours à Toulon, dans le quartier du Mourillon.
La dernière manifestation officielle à laquelle elle participa y fut l’inauguration à sa requête de la rue « Amiral Dumesnil », là-même où elle habitait désormais. L’amiral avait de fait été préfet maritime de Toulon en fin de carrière. J’y étais en uniforme, auprès d’elle ce 14 février 1976, représentant le Régiment de Marche du Tchad, Troupes de Marine, Division Leclerc, où je servai alors.
Lieutenant-colonel Sophie Adenot
L’après-guerre aura sonné le glas temporaire des femmes servant dans
l’aviation militaire. Il faudra attendre 1972 pour que le statut général des
militaires prévoit les mêmes droits et devoirs pour les hommes et les femmes,
l’accès aux armées pour celles-ci étant toutefois limité par des quotas.
En 1976 l’armée de l’Air rouvre des postes de pilotes aux femmes, et en 2022, le lieutenant-colonel Sophie Adenot est sélectionnée pour le corps des astronautes européens. Elle est la première aviatrice française à réussir cet exploit.
Sophie vient d’apprendre son affectation pour un vol spatial planifié en 2026.
Sépulture de Véra, Alla et
Marie-Christine à Sainte-Geneviève des Bois
Le commandant Alla Dumesnil, aviatrice et soldate par amour de son pays d’adoption, la France, restée digne de la tradition militaire des grandes héroïnes de l’histoire de la Russie, s’éteignit dans sa résidence toulonnaise le 19 août 1990.
Alla repose désormais dans ce cimetière de Sainte Geneviève des Bois qui rassemble tant de héros russes, à côté de sa mère Véra et de sa fille Marie-Christine. Je les aimais toutes les trois, et je remercie encore l'association "Mémoire russe" d’avoir entrepris la parfaite restauration de leur tombe, et l’édification de cette stèle qui mémorise leur existence terrestre.
Commandant d’aviation Alla Dumesnil
En conclusion Alla Bassine-Dumesnil, en devenant en l’espace de quelques
années de guerre commandant de l’Armée de l’air, fut la seule femme à recevoir
un grade militaire aussi élevé au sein des Forces françaises libres (FFL), et à
recevoir une si grande quantité de médailles.
Au sortir du conflit, Alla réussit, avec l’aide de Joséphine Baker, à convaincre le ministre de l’Air Charles Tillon d’ouvrir aux femmes des postes de pilotes militaires, comme la Russie l’avait fait bien avant.
La Russie est toujours restée chère au cœur d’Alla, sa patrie perdue mais jamais oubliée, et sa vie fut tout entière guidée par une volonté sans faille de servir avec fougue et ténacité son pays d’adoption, la France.
Mémoire éternelle !
Pierre de
Fermor, le 25 juin 2024
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