mercredi 10 avril 2013

La cathédrale russe de Nice demeure le bien inaliénable de la Russie


CIV.3 LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2013
Rejet
M. TERRIER, président
Arrêt no 406 FS-P+B
Pourvoi no G 11-21.947
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE,
a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par l'Association cultuelle
orthodoxe russe de Nice, représentée par son vice-président en exercice,
M. Obolensky, domicilié en cette qualité audit siège, Eglise orthodoxe russe,
6 rue Longchamp, 06000 Nice,
contre l'arrêt rendu le 19 mai 2011 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence
(1re chambre B), dans le litige l'opposant à l’Etat de la Fédération de Russie,
représentée par M. Alexandre Orlov, ambassadeur en exercice en France,
domicilié en cette qualité 79 rue de Grenelle, 75007 Paris,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les six
moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
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A l’audience publique du 6 novembre 2012, ont été entendus
la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat de l’Association cultuelle orthodoxe
russe de Nice, la SCP Lesourd, avocat de l’Etat de la Fédération de Russie,
en leur plaidoirie, et M. Charpenel, premier avocat général, l’affaire étant
renvoyée à l’audience publique du 15 janvier 2013 puis du 26 février 2013 ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du
code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 26 février 2013,
où étaient présents : M. Terrier, président et rapporteur, Mmes Fossaert,
Feydeau, Masson-Daum, MM. Echappé, Parneix, Mmes Andrich, Salvat,
M. Roche, conseillers, Mmes Proust, Pic, Meano, Collomp, conseillers
référendaires, M. Charpenel, premier avocat général, M. Dupont, greffier de
chambre ;
Sur le rapport de M. Terrier, président, les observations de la
SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat de l'Association cultuelle orthodoxe russe
de Nice, de la SCP Lesourd et la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin,
avocats de l’Etat de la Fédération de Russie, l'avis de M. Charpenel, premier
avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 mai 2011),
que le tsar Alexandre II a acquis, le 9 novembre 1865, un terrain sis à Nice ;
qu’un immeuble, devenu la cathédrale Saint-Nicolas, a été édifié sur ce
terrain de 1903 à 1912 ; qu’aux termes d’un oukase du 20 décembre 1908,
le tsar Nicolas II a ordonné qu’ “à l’avenir, (son) cabinet soit considéré
comme le véritable propriétaire (de cet) immeuble et figure seul à ce titre
dans tous les actes publics ou privés” ; que suivant acte authentique du
9 janvier 1909, le consul de Russie en France, agissant au nom et comme
mandataire du ministre de la Cour impériale de Russie, a donné ce terrain
avec toutes ses constructions à bail emphytéotique à l’association diocésaine
de Saint-Petersbourg ; que la Fédération de Russie (la Fédération) a agi
contre l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice (l’association),
occupante des lieux depuis 1925, pour que soit constatée sa qualité de
propriétaire du terrain, de la cathédrale et de son contenu ;
Sur le premier moyen, après avis donné aux parties
conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :
Attendu que l’association fait grief à l’arrêt de rejeter la fin de
non recevoir opposée à l’action de la Fédération, alors, selon le moyen :
1o/ que l’accord franco-russe du 27 mai 1997 prévoit que la
Partie russe ne peut entreprendre à l’encontre de la Partie française
"d’actions sur la base de créances financières et réelles de quelque nature
que ce soit apparues antérieurement au 9 mai 1945" ; qu’en énonçant, pour
rejeter la fin de non-recevoir soulevée par l’association à l’encontre de
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l’action en restitution des biens immobiliers litigieux engagée par la
Fédération à son encontre, que cette action, qui « ne pouvait être exercée
qu’à l’issue du bail, ou à l’approche de son terme, en tout cas pas avant le
9 mai 1945, s’agissant d’un bail emphytéotique expirant le
31 décembre 2007 », « ne peut être concernée par cet accord du
27 mai 1997 qui ne vise que les actions relatives aux créances financières
et réelles apparues avant le 9 mai 1945 », la cour d’appel, qui, pour apprécier
l’application de l’accord franco-russe du 27 mai 1997 relatif au "règlement
définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au
9 mai 1945", s’est placée à la date d’exercice de l’action en restitution et non
à la date d’apparition et donc de naissance de la créance de restitution
justifiant cette action, a violé ledit accord ;
2o/ que les obligations contractuelles, fussent-elles de
restitution, prennent naissance au jour de la conclusion du contrat et non au
jour de leur exécution ; qu’en énonçant, pour exclure l’application de l’accord
franco-russe du 27 mai 1997 à la créance de restitution de la Fédération,
que cette créance « ne pouvait être exercée qu’à l’issue du bail, ou à
l’approche de son terme, en tout cas pas avant le 9 mai 1945, s’agissant d’un
bail emphytéotique expirant le 31 décembre 2007 », alors que la créance de
restitution était nécessairement née à la date du contrat de bail
emphytéotique, le 9 janvier 1909, soit antérieurement au 9 mai 1945, la cour
d’appel a violé l’article 1101 du code civil ;
3o/ que les obligations contractuelles, fussent-elles de
restitution, prennent naissance au jour de la conclusion du contrat et non au
jour de leur exécution ; qu’à tout le moins, en se bornant à tenir compte de
la date d’exercice ou d’exigibilité de la créance de restitution de la Fédération
pour apprécier l’application de l’accord franco-russe du 27 mai 1997 à cette
créance, sans rechercher à quelle date cette créance de restitution était née,
donnée qui seule permettait de déterminer si ledit Accord était applicable à
cette dernière, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au
regard de l’article 1101 du ode civil ;
4o/ que l’accord franco-russe du 27 mai 1997 prévoit que la
partie russe ne peut entreprendre à l’encontre de la partie française
"d’actions sur la base de créances financières et réelles de quelque nature
que ce soit apparues antérieurement au 9 mai 1945", y compris "les
revendications relatives à tous les actifs situés en France qui appartenaient
au gouvernement de l’Empire de Russie puis à l’ensemble des
gouvernements qui lui ont succédé" ; que l’association soulignait dans ses
écritures que, au regard des termes de l’accord du 27 mai 1997, l’Etat russe
avait renoncé à toutes revendications portant sur des droits de créance ou
de propriété immobilière nés avant le 9 mai 1945, et que son action en
revendication était engagée sur le fondement d’un droit de propriété dont il
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prétendait être titulaire dès avant 1945, à la suite de l’achat du terrain
d’emprise de la Cathédrale Saint-Nicolas à M. Bermond par le tsar
Alexandre II ; qu’en excluant l’application de l’accord de 1997 à l’action de la
Fédération au motif que cette action « ne pouvait être exercée qu’à l’issue
du bail, ou à l’approche de son terme, en tout cas pas avant le 9 mai 1945,
s’agissant d’un bail emphytéotique expirant le 31 décembre 2007 », alors
qu’elle reconnaissait par ailleurs expressément à la Fédération la qualité de
propriétaire des immeubles litigieux au moins dès 1909, date de conclusion
du bail emphytéotique, donc bien avant la date du 9 mai 1945, la cour
d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations
en violation de l’accord franco-russe du 27 mai 1997 ;
5o/ qu’est irrecevable toute prétention émise par une personne
dépourvue du droit d’agir ; que, en vertu de l’accord franco-russe du
27 mai 1997, la Fédération a expressément et définitivement renoncé à son
droit d’agir au titre de toute créance financière ou réelle antérieure au
9 mai 1945, de quelque nature qu’elle soit, justifiant le cas échéant l’exercice
d’une revendication sur des actifs situés en France ; qu’en déclarant
recevable l’action en restitution des biens immobiliers litigieux formée par la
Fédération en raison de l’inapplicabilité de l’accord bilatéral du 27 mai 1997
à cette action, au motif que cette action « ne pouvait être exercée qu’à l’issue
du bail, ou à l’approche de son terme, en tout cas pas avant le 9 mai 1945,
s’agissant d’un bail emphytéotique expirant le 31 décembre 2007 », alors que
le droit justifiant l’action de la Fédération, qu’il s’agisse d’un droit de créance
contractuel de restitution qui était nécessairement né à la date de conclusion
du contrat de bail de 1909 ou d’un titre de propriété immobilière dont l’arrêt
constate qu’il est au moins aussi ancien que ledit bail, était fatalement
lui-même né antérieurement au 9 mai 1945, la cour d’appel, qui a reconnu
à la Fédération un droit d’agir dont elle ne disposait assurément plus, a violé
les articles 32 et 122 du code de procédure civile ;
6o/ que les juges doivent motiver leur décision sans procéder
par voie de simple affirmation générale ; qu’à supposer qu’en énonçant que
l’action de la Fédération « ne peut en tout état de cause être concernée par
cet accord du 27 mai 1997 qui ne vise que les actions relatives aux créances
financières et réelles apparues avant le 9 mai 1945 », la cour d’appel ait
rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’association pour d’autres motifs
que la considération selon laquelle cette action, qui selon l’arrêt ne pouvait
être exercée qu’à l’issue du bail emphytéotique, à savoir après le
31 décembre 2007, était postérieure au 9 mai 1945, par exemple en raison
de l’absence d’effet direct de l’accord à l’égard des justiciables ou en raison
du fait que l’action engagée par la Fédération ne serait pas une créance
financière ou réelle au sens du texte, la cour d’appel, qui aurait ainsi statué
par voie de simple affirmation générale et non circonstanciée, aurait en tout
état de cause violé l’article 455 du code de procédure civile ;
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Mais attendu qu’il résulte tant de son objet que des termes de
ses stipulations que l’accord du 27 mai 1997 conclu entre le gouvernement
de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie
sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles
apparues antérieurement au 9 mai 1945, a entendu apurer un contentieux
financier entre ces deux Etats, le règlement des litiges liés aux créances
entre les particuliers et chacun de ces Etats demeurant exclusivement de la
compétence nationale ; qu’il s’ensuit que l’association ne peut utilement
invoquer, au soutien de sa fin de non-recevoir, un moyen tiré des
dispositions de l’article V dudit accord ;
Que par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués, l’arrêt
se trouve légalement justifié ;
Sur les deuxième et troisième moyens, réunis, ci-après
annexés :
Attendu qu’ayant relevé que par oukase du 20 décembre 1908,
le tsar Nicolas II avait ordonné de considérer le terrain litigieux comme étant
la propriété de son cabinet, que le bail emphytéotique du 9 janvier 1909,
signé au nom du bailleur par le consul de Russie à Nice agissant comme
mandataire d’un ministre de la Cour impériale de Russie, mentionnait qu’il
portait sur un terrain appartenant “à la Cour impériale de Russie”, que l’Etat
de la Fédération de Russie a finalement succédé à l’Empire russe, la
continuité juridique étant admise par l’Etat de la Fédération de Russie et par
la République française, la cour d’appel, qui en a déduit, par une
interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté de ces
deux actes rendait nécessaire, que le bien litigieux était devenu la propriété
de la Cour impériale de Russie à la date du bail puis celle de la Fédération,
a pu, par ces seuls motifs et sans être tenue de répondre à des moyens que
ses constatations rendaient inopérants, rejeter la fin de non-recevoir tirée du
défaut de qualité de la Fédération et déclarer celle-ci propriétaire et bailleur
emphytéotique du bien ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu’ayant relevé, d’une part, qu’aux termes de l’acte
“d’attribution” du 12 avril 1927, l’association était venue aux droits de
l’emphytéote et, d’autre part, qu’il existait une continuité juridique entre
l’Empire de Russie et la Fédération, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de
répondre à des moyens ou d’effectuer des recherches que ses constatations
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rendaient inopérants, a pu en déduire que la Fédération était fondée, en sa
qualité de bailleresse, à reprendre les biens à l’expiration du bail ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu’ayant relevé qu’au cours de la procédure devant le
président du tribunal civil de la Seine en 1925, l’association n’avait pas
prétendu que le bail emphytéotique n’existait plus, qu’elle avait affirmé
alternativement avoir la détention, la possession ou la jouissance de la
cathédrale, et retenu souverainement que la position exprimée par
l’association devant cette juridiction n’était pas révélatrice d’une intention
claire et non équivoque de se comporter en propriétaire de la cathédrale et
que l’acte du 12 avril 1927 entre l’administration religieuse des églises
orthodoxes d’Europe occidentale et l’association n’avait pu avoir pour effet
de transférer à celle-ci la propriété des biens litigieux, la cour, qui en a déduit
que la possession de ces biens par l’association était entachée d’équivoque
et que celle-ci ne pouvait se prévaloir d’une interversion de son titre, a, par
ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le sixième moyen, ci-après annexé :
Attendu, d’une part, qu’ayant retenu souverainement que
l’association n’avait pas accompli sur la partie du terrain non désignée dans
le bail emphytéotique d’actes de possession autres que ceux, entachés
d’équivoque, accomplis sur l’autre partie et que ces deux parties du terrain
avaient été acquises par l’empereur de Russie en 1865, la cour d’appel a pu
en déduire que l’association n’était pas fondée à prétendre avoir acquis la
propriété de cette partie du terrain ;
Et attendu, d’autre part, que l’association n’ayant pas soutenu
devant la cour d’appel qu’elle avait acquis la propriété de la partie du terrain
non désignée dans l’acte emphytéotique à la suite d’un échange, le moyen,
pris en sa troisième branche, est nouveau, mélangé de fait et de droit ;
D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n’est pas
fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice aux
dépens ;
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Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne
l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice à payer à la Fédération de
Russie la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de l’Association
cultuelle orthodoxe russe de Nice ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre
civile, et prononcé par le président en son audience publique du
dix avril deux mille treize.