Un article du journal La Croix, en date du 15 septembre 2011:
En mai dernier, la justice française a attribué la propriété de la cathédrale orthodoxe de Nice à la Fédération de Russie.
La cathédrale orthodoxe de Nice a fermé ses portes aux touristes et n’est plus ouverte que pour les offices.
Celle-ci a transféré la gestion de l’édifice au Patriarcat de Moscou, mais l’association cultuelle locale, qui dépend du Patriarcat de Constantinople, s’oppose à cette décision.
Sur place, deux recteurs se font face, tandis que les paroissiens sont divisés.
Bouquet de bulbes colorés sous le ciel méridional, la cathédrale orthodoxe Saint-Nicolas de Nice inspire un sentiment d’harmonie. Difficile d’imaginer, dans la douceur de cette fin d’été, l’âpreté du conflit qui divise depuis bientôt cinq ans la communauté orthodoxe locale et la Fédération de Russie.
De l’extérieur, rien ne semble avoir vraiment changé. Rien ? Pas tout à fait : depuis peu, la grille est verrouillée, et les touristes doivent se résoudre à passer leur chemin. La cathédrale n’est plus ouverte que pour les offices.
C’est l’une des suites de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 19 mai dernier, qui a confirmé que la Fédération de Russie était fondée à reprendre possession de la cathédrale et des terrains alentour. « Nous avons reçu une notification d’huissier nous demandant de suspendre les droits d’entrée (3 €). Ces entrées nous permettaient de payer nos cinq employés. Nous allons devoir les licencier et ne pouvons donc plus assurer l’accueil », tempête le P. Jean Gueit, recteur de la cathédrale.
UN NOUVEAU RECTEUR VENU DE RUSSIE
« Nous sommes révoltés mais nous n’allons pas nous laisser faire », fulmine Hélène Funck-Dloussky, membre du conseil paroissial et farouche opposante à ce qu’elle voit comme une offensive impérialiste de la Russie. « Les Russes ont installé leurs oligarques dans la région, et maintenant ils veulent une église pour faire joli, s’insurge-t-elle. Où est la foi dans tout ça ? »
Quoi qu’il en soit, cette fermeture a été vivement critiquée jeudi 15 septembre par Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France, qui a dénoncé dans Nice Matin une « décision prise unilatéralement » par l’administration paroissiale qui « prend en otages les Niçois et les touristes ».
De toute évidence, le conflit niçois s’est durci cet été. L’annonce, par la fédération russe, du transfert de la gestion de l’édifice au Patriarcat de Moscou a achevé de mettre le feu aux poudres. Un nouveau recteur, le P. Nicolas Ozoline, tout droit venu de Russie, a même été nommé pour remplacer le P. Gueit.
JUSTICE CIVILE CONTRE DROIT DE L’EGLISE
Cette décision désole ce dernier, qui, subtilité de l’orthodoxie en France, relève, lui, du Patriarcat de Constantinople. « La décision de la cour d’appel est une décision civile, elle porte sur le titre de propriété. Nous ne le contestons pas. Ce que nous refusons, c’est le changement d’obédience que veut nous imposer l’État russe », détaille le P. Gueit, qui estime que la tradition chrétienne ne permet pas à un évêque de s’immiscer dans les affaires d’un autre diocèse.
En clair, la justice civile se heurte au droit de l’Église. Et ce paradoxe provoque une situation ubuesque, où deux recteurs se disputent une même paroisse, convaincus chacun de leur légitimité. Le 28 août, Mgr Gabriel de Comane, archevêque des Églises russes en Europe occidentale (qui dépend de Constantinople), a réaffirmé son autorité sur la paroisse.
« Jusqu’à aujourd’hui, a-t-il insisté, l’autel de cette cathédrale est lié à mon ministère épiscopal et aucune décision de justice de la part d’un autre évêque ne saurait changer cet état de fait ecclésial. » Trois jours plus tard, Mgr Nestor de Chersonèse (l’évêque du Patriarcat de Moscou pour la France) a exigé la remise des documents relatifs à la gestion de l’église, ainsi que ses clés. Ce que l’ Association cultuelle orthodoxe russe de Nice (Acor), qui gère le site, refuse.
DEUX CONCEPTIONS DE L’ORTHODOXIE
Dans ce climat pesant, le P. Ozoline tente de se faire reconnaître. À Nice, sa soutane est devenue familière. Ce prêtre de 44 ans, lui-même issu d’une famille russe implantée en France, s’attache à promouvoir un discours rassurant : « Je veux être le recteur de tous, et pas seulement d’une minorité. 2 000 à 3 000 russes vivent aujourd’hui à Nice, et nous devons y être plus attentifs. »
Car derrière ces rivalités, deux conceptions de l’Église s’opposent. D’un côté, l’Église orthodoxe russe, traditionnelle, qui se reconstruit lentement et entend réaffirmer son influence en Europe, notamment auprès de ses ressortissants. De l’autre, des fidèles enracinés en France depuis plus de trois générations, et dont l’identité dépasse désormais la seule culture russe.
« Notre archevêché, qui est le fruit d’une diaspora, est sans doute le seul exemple d’une orthodoxie réellement universelle, non inféodée à un pouvoir politique. Nous voulons préserver ces acquis que les Russes aimeraient voir disparaître », craint Alexis Obolensky, responsable laïc de la paroisse, qui déplore les liens ambigus entre le Patriarcat et l’État russe. Des accusations qui « affligent » le P. Ozoline : « Tout pays qui se relève d’une épreuve a besoin de revenir à ses racines pour se tourner vers l’avenir. C’est le sens des liens entre le gouvernement et l’Église dans notre pays. »
DISCUSSIONS ENTRE PATRIARCHES
Parmi la centaine de paroissiens, une vingtaine fait bloc autour du P. Gueit. Mais quelques-uns estiment que l’heure est venue de retourner vers « l’Église mère » : « Les nouveaux arrivants ne se reconnaissent plus dans les évolutions de la paroisse. Il faut cesser cette guerre. D’autant que l’Acor dispose de deux autres églises en ville », fait valoir un paroissien qui préfère rester discret.
Pierre de Fermor, dont le grand-père, officier de la Garde impériale, est arrivé sur la Côte d’Azur en 1921, partage ce point de vue. Cet Antibois a créé une association (1) pour « soutenir le retour à la Russie » de la cathédrale. « D’anciens Russes comme de nouveaux migrants sont favorables à ce retour, assure-t-il. La page de la guerre froide est tournée, et il est temps que la famille orthodoxe se rassemble. »
Le P. Gueit, lui, dit « attendre les instructions » du patriarche Bartholomeos de Constantinople, dont il dépend. Ce dernier pourrait décider de démêler l’écheveau niçois directement avec son homologue, Kirill de Moscou.
(1) Association des Amis de la cathédrale orthodoxe russe Saint-Nicolas de Nice.
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