dimanche 21 août 2011

Ivan Schakovskoy: les émigrés russes se doivent de participer au renouveau spirituel du pays et non d'aspirer à en rester éloignés


Une interview accordée par le prince Ivan Schakovskoy à Interfax-Religion (Elena Maler-Matiasova)

Le philosophe émigré Nikita Struve a récemment déclaré qu’il désapprouvait le projet de construction à Paris d’un centre spirituel et culturel orthodoxe. Selon lui, l’Eglise orthodoxe russe reste tributaire de l’Etat tandis que l’émigration aspire à rester indépendante de « la Russie post soviétique ». Une grande majorité d’émigrés partagerait cette vision à l’exception « d’une dizaine d’entre eux qui préfèreraient rejoindre Moscou ». Elena Maler-Matiasova a interviewé pour Interfax-Religion le prince Ivan Shakovskoy représentant de l’une des lignées russes les plus anciennes, petit neveu de Mgr Jean, archevêque de San Francisco. Né à Paris, Ivan Schakovskoy s’est récemment installé en Russie. Il a répondu à plusieurs questions portant sur l’attitude des émigrés russes à l’égard de la Russie, de l’Eglise russe et du retour en son sein des paroisses orthodoxes russes de France

Ivan Dimitrievitch, que pensez-vous de la récente interview donnée par Nikita Struve ? Il s’y montre très négatif à l’égard de la Russie et de son Eglise ?

Que dire ? Nikita Alexéevitch a certes énormément contribué en son temps à la sauvegarde de la culture russe, il suffit d’évoquer la production des éditions « YMCA-Press », la revue « Le Messager » ou l’ouvrage « Les chrétiens en URSS ». Cependant, ce que N.Struve dit et écrit à propos de la Russie actuelle n’a rien à voir avec la réalité. N.Struve a toujours été hostile à l’égard du patriarcat de Moscou. Mais ses déclarations récentes indiquent qu’il a totalement perdu le sens des réalités.

Nikita Struve affirme que ses vues sont partagées par la majorité des émigrés russes en France et que seuls une dizaine de personnes peu versées dans les affaires de l’Eglise s’en tiennent à un point de vue opposé.

Ces dires ne correspondent en rien à la réalité des choses. Ceux qui souhaitent l’union avec le patriarcat de Moscou représentent de nombreuses paroisses dont chacune compte bien plus de dix membres. S’il ne s’agissait que d’un groupuscule, à quoi bon entrer en discussion avec ses membres ? Il serait bien plus simple d’ignorer ces gens. Il est inexact d’affirmer qu’il s’agit de personnes titrées et, de surcroît, ignares dans les affaires de l’Eglise. Je vois là une manifestation de mépris pour les nobles ce qui correspond d’ailleurs parfaitement avec les vues libérales de N.Struve. Il s’agit de personnes que je connais fort bien, on compte parmi elles des enseignants de l’Institut de théologie Saint Serge et des clercs. Comment peut-on dire qu’ils n’ont pas de connaissances ecclésiologiques ? N.Struve taxe simplement d’ignorance tous ceux qui ne partagent pas ses vues

Comment expliquer cette méfiance à l’égard de la Russie moderne d’une certaine frange de l’émigration russe ? A lire leurs écrits on a l’impression que ces gens continuent à vivre à l’époque soviétique et à poursuivent le combat contre l’URSS en la personne de la Russie ?

Les raisons de cette méfiance sont en effet dans la persévérance des personnes à ne pas changer dans leur attitude de toujours à l’égard de l’Union Soviétique. Mais nous ne parlons que d’une partie de la diaspora russe en France. Même l’attitude à l’égard de la Russie soviétique n’a jamais été univoque. Il y a eu des « Russes blancs » de la première génération qui s’étaient résigné à abandonner le pays et qui, malgré l’existence d’un régime hostile, n’aspiraient qu’à retourner en Russie. Les choses ont radicalement changé pendant la guerre, beaucoup de Russes se sont rangé du coté de l’Union Soviétique. Beaucoup sont rentrés au pays malgré des conditions d’une difficulté indicible car ils voulaient par-dessus tout partager le destin de la Russie. Si les changements en Russie étaient survenus vingt ou trente ans avant qu’ils ne se soient produits les parents de ceux qui se prononcent aujourd’hui contre un rapprochement avec la Russie seraient encore en vie. Leur réaction aurait été tout à fait autre. La posture critique dont nous parlons est celle d’une génération qui s’est formée dans le milieu émigré et qui connaît fort peu la Russie et ne sent pas liée avec elle. Si dans les années 40 et 50 cette génération se considérait russe elle se dit de nos jours française mais quand même porteuse de la culture et des traditions russes.

Pouvons-nous dire que l’émigration a été un phénomène forcé ainsi d’ailleurs que le passage provisoire des paroisses russes sous la juridiction de Constantinople ? D’où le message, en 2003, du patriarche Alexis II qui invitait « les paroisses de la dispersion russe » à réintégrer le patriarcat de Moscou.

Le XX siècle a fait que l’Eglise en exil s’est divisée en trois branches. Il y a d’abord eu les paroisses de l’Eglise orthodoxe russes hors frontières qui s’était constituée à la suite de la révolution. Sous la houlette du métropolite Euloge une partie de ces paroisses ont transité sous la juridiction du patriarcat de Constantinople pour après la guerre revenir brièvement, avant son décès, sous l’omophore de Moscou. Des paroisses relevant du patriarcat de Moscou continuaient à exister comme, par exemple, le metochion des Trois Saints Docteurs fondé en 1931 à Paris et qui était l’église principale de l’exarchat en Occident du patriarcat de Moscou. Je nommerai également l’église de la Sainte Trinité à Vanves, patriarcat de Moscou, dans la banlieue de Paris, dont le recteur était l’archimandrite Serge (Chevitch), soit dit en passant l’oncle de Nikita Struve. Sans m’approfondir dans les détails du droit canon je dirai que l’existence de chacune de ces trois branches était alors parfaitement légitime. Il va de soi que ces divisions étaient perçues comme provisoires et imposées par les circonstances. Le message du patriarche Alexis II était, plutôt qu’un appel, une réponse aux paroisses russes qui, à ce moment, aspiraient à l’union. Nous sommes devenus en 2007 les témoins d’un événement historique marquant : la signature de l’Acte d’union canonique entre l’EHORHF et le patriarcat de Moscou. La grande majorité des paroisses russes à l’étranger ont su dépasser la scission à laquelle elles avaient été forcées et devenir à nouveau partie intégrante de l’Eglise russe reconstituée. Sont restées de coté les paroisses qui avaient maintenu l’usage de la langue russe mais n’avaient plus aucun espoir en une renaissance de la Russie. Il s’agit essentiellement de fidèles d’origine non russe devenues orthodoxes récemment et souvent pour des raisons d’ordre laïc. Souvent ces paroissiens ont été artificiellement inclus dans les rôles des églises ceci afin d’être certain de pouvoir compter aux assemblées sur une majorité de voix.

Comment expliquer la violence des réactions à des évènements tels que la restitution à la Russie de la cathédrale Saint Nicolas à Nice ? N’est-ce pas l’émigration qui, la première avait combattu pour que la Russie soit délivrée du joug soviétique et une fois que cela s’est produit s’est, dans l’une de ses parties, refusée à reconnaître la Russie rénovée ?

Nous assistons à la renaissance spirituelle de la Russie. Je suis persuadé que tout croyant russe se doit non seulement de contribuer à cette renaissance mais d’en devenir un acteur. Cela ne serait que logique. Or, l’attitude de Nikita Struve est radicalement contraire à celle que je viens de formuler. Il estime que l’essentiel serait de préserver coûte que coûte l’indépendance à l’égard de la Russie actuelle. Une vie à part s’est avec le temps constituée dans les paroisses russes à l’étranger, il y a là-bas une atmosphère spécifique, un cercle de personnes bien déterminé. Certaines de ces paroisses se sont mises à rappeler de plus en plus des lieux de réunion, comme des clubs ou des associations où les gens se rendent pour y rencontrer des amis. C’est un petit monde auquel ils se sont habitués et qu’ils n’ont pas le moindre désir de changer. S’unir avec le patriarcat de Moscou leur semblerait être le résultat d’une pression venue de l’extérieur.

Ivan Dimitrievitch, vous qui résidez en Russie estimez-vous que la Russie vit une crise spirituelle profonde ce dont parlent constamment certains représentants de l’émigration ?
Je ne vois pas du tout de quelle crise peut-on parler ? La Russie a été pendant le XX siècle l’arène d’une véritable lutte spirituelle. Ses prêtres et ses fidèles étaient prêts à mourir pour leur foi et ils le faisaient. L’Eglise persécutée devait combattre pour sa survie et ce combat l’a aguerri et rendu plus forte. Les prophéties de Saint Séraphin de Sarov et de Saint Jean de Cronstadt se sont ainsi accomplies. Terribles persécutions qu’il serait impossible de fuir mais dont le sens serait de faire renaître en Russie une spiritualité perdue. Nous voilà témoins de cette renaissance, du moins de ses débuts. Or, c’est en Occident, en France en particulier, que nous constatons l’existence d’une authentique et profonde crise spirituelle. La foi chrétienne y dépérit, les églises sont désertées, souvent détruites ou données en location car devenues inutiles. Véritable misère spirituelle. A son retour d’un voyage officiel en France le président Medvedev avait dit que l’événement qui l’avait le plus marqué a été de pouvoir aller se recueillir devant la Sainte couronne
d’épines du Christ à la cathédrale Notre Dame de Paris. Quel autre chef d’un Etat occidental aurait dit cela ?

Traduction "PO"

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