Le métropolite Hilarion, Président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, a accordé une interview àAndré Melnikov et A. Kourilovitch (Nezavissiùaia Gazeta Religia ). Il s’y agit de la coopération avec les chrétiens occidentaux ainsi que de l’attitude l’Eglise à l’égard des zélateurs de l’isolationnisme orthodoxe. Voici des extraits de cette interview : Mgr Hilarion: - « Hier encore les relations entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique romaine semblaient relever de la guerre froide. Il y avait cependant, bien sûr, des courtes périodes de réchauffement. Ces relations se sont considérablement améliorées, un dialogue interchrétien constructif a été amorcé. Les catholiques et les orthodoxes s’unissent au nom d’un objectif qui leur est commun : s’opposer à l’offensive du sécularisme en Europe. Nous travaillons ensemble sur les bases d’un dialogue honnête et ouvert en nous inspirant des valeurs sur lesquelles repose la culture européenne à laquelle appartient la culture russe. Nous savons que les partisans de la sécularité s’efforcent d’extirper le souvenir même des fondements chrétiens de la civilisation européenne. A la suite de l’effondrement du système communiste les peuples du monde se sont retrouvés dans un vide politique et culturel. L’homme moderne n’est plus conscient de ses propres racines et sa perception du monde n’est plus d’ordre religieux.
Pour ce qui est des divergences théologiques qui existent entre catholiques et orthodoxes, je peux vous assurer que notre dialogue et notre coopération avec l’Eglise catholique n’ont pas pour but d’unir les deux Églises au prix d’un compromis dogmatique. L’esprit conciliaire qui anime l’Eglise orthodoxe a rejeté à plusieurs reprises cette approche qui n’a aucun avenir. Au contraire, l’Eglise d’Orient a toujours insisté, tout en acceptant le dialogue avec l’Occident, sur la mise en œuvre dans leur intégralité des décisions des conciles œcuméniques ainsi que sur la fidélité à la Tradition qui nous a été léguée par les Pères de l’Eglise. La séparation avec Rome n’a cependant pas empêché les orthodoxes d’envoyer aux XVII-XVIII siècles des étudiants dans les écoles d’Italie. Plusieurs évêques remarquables de l’Eglise orthodoxes russe ont été ainsi formés en Italie. Face aux conquêtes turques et arabes Byzance avait sans hésiter sollicité le soutien de l’Occident chrétien. Nous revoilà face à l’agression de la propagande antichrétienne qui cherche la perte de nos concitoyens et qui veut plonger nos sociétés dans la barbarie. Nous revoilà donc tous sur le même navire ». - Nous avons le sentiment que le rapprochement de ces derniers mois entre l’Eglise orthodoxe russe et les catholiques polonais se base sur un anticommunisme commun et la condamnation conjointe du passé stalinien. Est-ce que le dialogue chrétien a vocation de devenir le contre-poids des forces de gauche ? Sera-t-il apte à prévenir la revanche du communisme en Europe ? - « Ces deux dernières décennies les relations russo-polonaises ont été loin d’être simples. Mais les opinions des deux pays étaient conscientes de la nécessité d’un rapprochement y compris dans le domaine ecclésial. L’Eglise orthodoxe en Russie et l’Eglise catholique en Pologne ont chacune une place plus qu’importante dans la vie de nos pays. Nous avons en commun décidé de contribuer à l’amélioration de nos relations. Il fallait pour cela procéder à une analyse des raisons qui faisaient obstacle à ce rapprochement ainsi que des évènements qui nous ont séparé et induit un esprit de méfiance et d’incompréhension réciproques. Les guerres soviéto-polonaises de 1920-1921 et de 1940 ainsi que le partage de la Pologne en vertu du pacte Molotov-Ribbentrop ont fait dans les deux pays l’objet de débats approfondis et passionnés. Il en est de même du drame de Katyn avec l’assassinat de plus de vingt mille prisonniers de guerre polonais. Il nous est à tous devenu évident que l’idéologie communiste est responsable de l’agression soviétique contre la Pologne au début des années vingt du dernier siècle. La propagande bolchevique présentait ce conflit comme étant le début de la révolution mondiale. Il nous est à tous devenu évident que l’idéologie communiste doit assumer la pleine responsabilité de la méfiance qui s’est instaurée dans les relations entre nos deux peuples. La question est venue se poser de savoir sur quelles bases nous pouvons mettre en place de nouvelles relations fondées sur la confiance ? La réponse était évidente : seule la tradition chrétienne enracinée dans nos mentalités et dans notre façon de penser pouvait nous faciliter ces efforts. Je ne crois pas qu’il faille opposer le dialogue entre les Églises chrétiennes aux tendances politiques de gauche. Ce sont des phénomènes de nature différente. Je ne vois actuellement rien qui puisse faire craindre une revanche communiste en Europe. Cette idéologie abominable relève du passé, avant de disparaître elle a détruit des centaines de millions de vies. En ce qui concerne les Églises protestantes les tendances libérales y sont ces dernières décennies devenues prédominantes dans la majorité de leurs communautés en Europe et en Amérique du Nord. Les normes traditionnelles de l’éthique chrétiennes y sont remises en question, l’homosexualité y devient admise en tant que mode vie alternatif. Les Saintes Écritures nous disent clairement qu’une telle approche est en violation flagrante de la morale chrétienne et de la doctrine de l’Eglise. Les Églises protestantes procèdent systématiquement à l’ordination pastorale des femmes, c’est là une remise en cause des fondements mêmes de l’anthropologie chrétienne. Il s’agit de la place et du rôle de la femme dans l’Eglise, la famille et la société. Les responsables des communautés protestantes se sont manifestement inspirés dans ces pratiques de ce qui se fait dans la société séculière. Ils admettent tout ce qui n’est pas considéré comme répréhensible par le "sécularisme laïc". Certaines Églises protestantes cessent d’être des entités spécifiquement religieuses et se comportent en organisations de la société civile dont la raison d’être est dans la lutte pour la justice sociale. Cela rend malheureusement difficile notre dialogue avec les protestants. A un tel point que l’Eglise orthodoxe russe s’est vue ces dernières années contrainte d’interrompre son dialogue avec plusieurs grandes communautés protestantes d’Europe et d’Amérique du Nord. Mais nous savons que nombreux sont les croyants protestants qui préfèrent la vision des orthodoxes et des catholiques à celle de leurs responsables. Ces croyants sont considérés par leurs communautés comme étant « des fanatiques, des fondamentalistes, des sectaires ». Or, c’est avec ces protestants que nous sommes disposés coopérer dans le cadre de divers projets, y compris celui d’une nouvelle évangélisation de l’Europe" - Une récente enquête d’opinion a montré que la majorité des clercs catholiques d’Autriche se prononcent contre le principe du célibat. S’agit-il d’un renoncement condamnable à une tradition multiséculaire ? - « Le célibat obligatoire du clergé a été introduit par l’Eglise occidentale au XII siècle. Il n’existait pas avant. Les Églises orientales s’en tiennent à la pratique ancienne qui permet d’ordonner prêtres des hommes mariés. L’Orient chrétien a toujours eu une attitude critique à l’égard du célibat des prêtres existant dans l’Eglise de Rome. Les orthodoxes estiment que le principe du célibat est un problème interne de l’Eglise catholique romaine. Cependant nous ne pourrons qu’approuver la révocation de ce principe si elle survenait en la considérant comme le retour à la tradition des premiers siècles ». -Le rapprochement entre les Eglises orthodoxes et les catholiques romains suscite chez certains croyants une hostilité à l’égard de l’œcuménisme. Nous l’avons constaté lors de la visite à Chypres du pape de Rome. Des évêques de l’Eglise orthodoxe russe avaient alors fait entendre leur mécontentement. Est-ce que ces voix protestataires peuvent faire obstacle au dialogue avec les chrétiens occidentaux ? - « Il y a au sein de chacune des Eglises orthodoxes locales des fidèles mécontents de ce rapprochement. Ce sont le plus souvent des personnes qui ne connaissent pas suffisamment les autres confessions chrétiennes et les modalités de la coopération avec elles. C’est un discours qui souvent n’est pas d’ordre théologique mais de nature psychologique et politique. Nous ne parlons pas tout à fait la même langue. Cependant nous restons à l’écoute des adversaires des contacts interchrétiens et nous tenons compte de leurs positions lors de l’élaboration des documents conciliaires. Je crois que le nombre de ces « zélateurs » va aller décroissant car la Russie occupe une place de plus en plus importante dans la communauté mondiale. La quantité de mariages interconfessionnels est impressionnante, des millions d’orthodoxes résident hors du pays. Nos croyants connaissent ainsi mieux les chrétiens non orthodoxes. « Ces zélateurs » ont toute leur place dans le combat que nous menons contre le sécularisme, nous avons là beaucoup à faire ensemble. Traduction Nikita Krivochéine, "Parlons d'Orthodoxie"
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