vendredi 13 mai 2011

Point sur le procès de l'église russe de Nice


Par S. Rehbinder sur "Parlons d'Orthodoxie"

Quelques jours avant le prononcé du jugement concernant l’appel de l’association cultuelle orthodoxe
russe de Nice contre la décision qui confirmait que l'église Saint-Nicolas était bien la propriété de
l’Etat russe, il est peut-être intéressant de prendre connaissance des arguments présentés par
les deux parties devant les juges de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Les arguments de l’Association cultuelle orthodoxe russe (ACOR)

En préalable, l’A.c.o.r. produit un argument nouveau qui n’avait pas été présenté en première instance :
l’état russe ne saurait réclamer quoi que ce soit concernant la cathédrale de Nice car il a signé en
1997 un accord avec l’Etat français par lequel il renonçait à toutes actions en revendication sur des
actifs situés en territoire français (accord qui réglait le contentieux concernant les emprunts russes).
L’Etat russe rétorque que cet argument, qui n’avait pas été présenté en première instance, est sans
effet car l’accord signé par lui-même en 1997 concernait -les réclamations ayant un caractère contentieux
-les réclamations interétatiques -les réclamations présentées avant le 9 mai 1941.

En second lieu, l’A.c.o.r. conteste un certain nombre d’arguments de procédure de la partie adverse,
concernant la recevabilité de son droit à agir. Ainsi, elle fait valoir que l’action en justice de son
président, sans mandat du conseil d’administration, a été régularisée par un vote postérieur de
ce conseil. Par ailleurs, elle affirme que la référence au bail emphytéotique dans son action en référé
devant le juge (pour s’opposer à l’inventaire auquel devait procéder l’huissier mandaté par la partie
russe) ne l’empêchait pas de nier par la suite l’existence de ce bail. (L’A.c.o.r. avait soutenu alors
que la fédération de Russie ne pouvait rien faire avant la fin du bail emphytéotique) Enfin, l’A.c.o.r.
conteste que le classement comme monument historique de la cathédrale l’empêchait d’en devenir
(ou d’en être devenue) propriétaire par prescription. C’était ce qu’affirmait la partie russe en se
référant à l’article du code du patrimoine qui stipule qu’un bien inscrit à l’inventaire ne peut
s’acquérir par prescription.

Sur le fond, l’A.c.o.r. développe son argumentation sur trois points:

1. La cathédrale de Nice et le terrain sur lequel elle a été bâtie n’ont jamais été des biens étatiques.
L’avocat de l’A.c.o.r. s’attache à contester point par point les nombreux faits et arguments que les
juges de première instance ont relevés en faveur de la thèse de bien étatique. L’A.c.o.r. , pour
sa part, s’efforce de démontrer que le terrain acquis dans le but d’installer un lieu de
mémoire sur l’emplacement du décès du Tsarévitch, héritier de la couronne impériale russe , l’a
été à titre personnel par Alexandre II, comme père du défunt. L’A.c.o.r. affirme que par la suite le
bien n’est jamais devenu étatique et donc que la Fédération de Russie ne peut être propriétaire de
ce terrain.

2. Dans le cas où la cour ne la suivrait pas dans cette version des choses, l’A.c.o.r. conteste
que le bail fût un bail emphytéotique, du fait de plusieurs restrictions aux droits du preneur de bail qui
figurent dans ce contrat, et elle demande à la cour de le requalifier en un bail simple. De plus, elle
plaide que le contrat n’existe plus puisque « l’Eglise russe » à laquelle il a été conféré a été privée
de toute personnalité juridique par le pouvoir des Soviets en 1918. Les biens de cette entité dissoute
ont été transmis à l’état qui serait donc devenu à la fois bailleur et preneur de bail ce qui fait disparaître le
contrat. Elle conteste en outre que la Fédération de Russie soit le continuateur juridique de
l’URSS et de l’Empire Russe. Enfin elle conteste être elle-même la continuatrice de l’« Eglise
Russe » et conteste la légalité de l’acte d’attribution de Monseigneur Euloge en 1927, dont
elle a été bénéficiaire.

3. Enfin, l’A.c.o.r. estime qu’elle est bien devenue propriétaire du terrain et de la cathédrale
par prescription acquisitive, contrairement à ce qui a été jugé en première instance. Elle affirme
pour cela qu’elle a eu la jouissance du bien dès sa création en 1923, publiée aux hypothèques
en 1926. Elle considère que le rejet de la demande de la commission Jaudon d’inscrire ce bien
sur la liste de ceux qui se sont trouvés en déshérence après la révolution russe a confirmé son
droit de propriété. Elle a donc exercé son droit depuis plus de 80 ans sans aucune contestation.
Il en résulterait qu’elle est bien devenue propriétaire.

Les arguments de la Fédération de Russie

L’avocat de la Fédération de Russie remarque tout d’abord que l’A.c.o.r. a présenté
successivement, pour affirmer son droit de propriété de la cathédrale de Nice, pas moins de
six thèses différentes et incompatibles entre elles. Il y voit un manque de loyauté dans la défense
de l’ A.c.o.r., et appelle la cour à sanctionner cette attitude. Il réfute les arguments de l’A.c.o.r.
selon lesquels l’accord de 1997 priverait l’Etat russe du droit de revendiquer la cathédrale.
Il affirme que cet accord, signé par la Fédération de Russie, ne porte que sur des
revendications inter-étatiques apparues avant 1945, et qu’il ne peut être invoqué par des particuliers.

Sur le fonds

1. La partie russe affirme que la propriété du terrain a toujours eu un caractère étatique. Elle apporte
de nombreux éléments qui tendent à le prouver : dans l’acte d’acquisition, l’acquéreur est désigné
par son titre - Empereur de toutes les Russies - et non son identité – Romanoff – (procédure suivie
au travers de l’ambassadeur etc…) puis par les éléments postérieurs (transmission
d’Empereur régnant à Empereur régnant et non par testament, etc.)

2 L’avocat de la Fédération s’attache ensuite à démontrer que la propriété étatique du terrain a
été régulièrement et légitimement transférée à la fédération de Russie par une succession
d’actes d’Etats réguliers et légitimes. La suite de ces actes est décrite dans les conclusions
de l’avocat.

3 Enfin, l’avocat s’attache à démontrer que l’A.c.o.r. a été créée pour être la personnalité juridique
de la paroisse orthodoxe russe qui existait avant, laquelle était l’expression locale de l’Eglise russe
à qui avait été consenti le bail emphytéotique. Ainsi, l’A.c.o.r. a toujours été détentrice de
la cathédrale en vertu de ce bail, qu’elle a d’ailleurs revendiqué en justice en 1925 (référé
pour s’opposer à la commission Jaudon) puis encore en 2005 (référé pour s’opposer à l’inventaire
par huissier). Elle ne peut donc avoir acquis le bien par prescription puisqu’elle en était détentrice
en vertu de ce bail.

L’on voit donc que l’ « affaire de Nice » est assez compliquée sur le plan juridique. Le malheur
est que, quelle que soit la décision du tribunal, elle sera vécue comme un drame par une partie
des orthodoxes de France. Il aurait pourtant été possible d’éviter ce conflit déplorable par un
minimum d’esprit de compromis dont l’Etat russe semblait animé au départ, puisqu’il
avait publiquement proposé de renouveler le bail au profit de l’A.c.o.r.. Il aurait pour cela fallu avoir
un regard plus ouvert sur l’évolution de l’Etat russe et de l’Eglise russe, en tentant de
s’affranchir d’idées préconçues et de clichés, maintenant dépassés, mais qui entretiennent des
conflits qui ne devraient pas exister dans l’Eglise.

Quelle que soit l’issue de l’appel, il faut espérer que chacun se souviendra que la cathédrale de
Nice est un lieu de rassemblement eucharistique pour tous les orthodoxes, ceux qui y vivent ou qui
y passent.

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